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Aspects de l’histoire économique du Café,
un mémoire du Dr Mounir Gaouar (extraits)

Université de Paris I – Panthéon Sorbonne
UER ÉCONOMIQUE

Mémoire de M. Mounir GAOUAR

sous la direction de M. J.-M. Boussard

Paris, Novembre 1983

Sujet :

« Différences dans les comportements de consommation dans les pays industrialisés et les pays en développement »

CAS DU MAROC – L’EXEMPLE DU CAFÉ

Extraits –

1 – INTRODUCTION A L’HISTOIRE DU CAFÉ

A l’origine, le marché du café était un marché de luxe qui répondait à des besoins non spécifiques.

Nous verrons comment la culture du café est venue s’insérer dans un marché européen et américain et si les rapports offre – demande (qui sont des rapports Nord-Sud) ne portant pas atteinte aux intérêts de la majorité des caféiculteurs, notamment les plus petits.

Le marché du café a pris de l’envergure lorsque les prix du café tombèrent, au début du XIXe siècle, pour se maintenir autour d’une moyenne assez déprimée (cf. Le Page, 1969). Cette situation se maintient ainsi jusque dans les années 1950 (cf. Delfim Netto, 1971). Cela encouragea la consommation et consolida ce marché dans les pays à haut pouvoir d’achat, qui constituent l’essentiel du marché mondial du café, comme nous le verrons.

M. Bartolucci (« Centre et périphérie en agriculture », 1979) s’est intéressé à la manière dont l’Occident a connu le café. Il en ressort que le mérite de la formation d’un marché du café revient aux Hollandais qi réussirent, grâce au gouverneur général des Indes néerlandais Van Horn, à introduire en 1690 quelques mottes de café provenant d’Arabie (probablement du Yémen) dans la ville de Botavia, dans l’île de Java (cf. Choussy, 1976). En 1718, le gouverneur de Cayenne, M. Claude de Guillonet, subtilise des semences à cette nouvelle plantation hollandaise, qu’il plant en Guyane française puis en Martinique (cf. Krug et De Poerck, 1969). Enfin, la plantation qui aura le plus de retentissement par la suite sera celle qu’effectueront les Portugais dans leur colonie brésilienne en 1727 (cf. Chevalier, 1946).

Dès l’origine de ce marché, on nota donc une étroite dépendance entre l’offre de café (la production) et la demande ; les cultures de café apparurent en Occident et dans les Indes Orientales comme un prolongement des systèmes commerciaux européens, ceux-là même qi introduisirent la consommation du produit dans les mœurs occidentales et en organisèrent le marché de demande.

Ainsi, dès sa naissance, ce marché était soumis à une forte pression au niveau des prix de vente puisqu’il dépendait entièrement d’une demande très concentrée et bien organisée, face à une offre naissante, d’où une certaine faiblesse de négociation ; nos verrons que cette pression, qui découlait au départ d’une demande devançant son offre, continue de s’exercer de nos jours en maintenant les prix du café à un niveau relativement bas malgré toutes les hausses qui ont pu avoir lieu.

Commentant les problèmes du dialogue Nord-Sud, M. Edouard Saouma, directeur général de l’ONU pour l’Alimentation et l’Agriculture, déclarai (cf. Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 13 juin 1980) :
« … La plupart des pays en développement se situent dans les climats tropicaux. Ils dépendent ainsi, pour leur survie économique, de l’écoulement sur le marché mondial des produits de leur agriculture : essentiellement des produits tropicaux : thé, café, sucre, bananes, arachides, fibres dures, sorgho, manioc, etc. Or, ces dernières années, on constate une détérioration des termes de l’échange, c’est-à-dire que les prix en valeur de plusieurs produits tropicaux exportés par ces pas en développement ne cesse de diminuer par rapport aux prix que ces mêmes pays doivent payer pour importer leurs produits manufacturés, qui leur sont nécessaires et qu’ils achètent aux pays riches.

Le résultat c’est que, même lorsque le cultivateur des pays en développement réussit à augmenter le volume de sa production, ou même à la vendre plus cher, il n’en résulte pas nécessairement pour lui une augmentation de son profit.

En 1978 par exemple, le très faible accroissement des produits agricoles a coïncidé avec une hausse de 15 % des prix à l’exportation des produits manufacturés, de sorte que les termes de l’échange des exportations agricoles, en particulier ceux des pays en développement, se sont brutalement détériorés par rapport aux articles manufacturés. Le phénomène s’est répété les années suivantes. Il faut ajouter à cela le protectionnisme grandissant des pays industrialisés qui, souffrant eux aussi de la crise économique, sont amenés – pour des raisons d’économie et de défense de leurs propres cultivateurs – à fermer chaque jour un peu plus leurs frontières aux produits extérieurs… ».

Le commentaire de M. Saouma peut parfois paraître excessif ; cependant, devant la dégradation de la situation commerciale, et ses conséquences dramatique pour les pays en développement, les principaux pays concernés ont réagi et de nombreuses réunions internationales ont cherché un remède, telle l’O.I.C. (Organisation Internationale du Café) pour le café.

Notre étude traitera l’exemple particulier du café qui peut refléter les problèmes généraux découlant des relations entre les pas en voie de développement et les pays industrialisés. Elle fera ressortir les différences dans les comportements de consommation qui existent entre les pays à haut pouvoir d’achat et les pays pauvres pour lesquels nous prendrons l’exemple du Maroc, où une société a déployé de gros efforts pour promouvoir la consommation de café, produit se situant au second rang après le pétrole dans le commerce international des matières premières, et qui est le premier produit agricole dans les échanges internationaux.

2 – L’HISTOIRE DU CAFÉ

En 1658, le médecin anglais William Harvey légua au Collège des Physiciens de Londres un sac de 56 livres de café. Il avait stipulé à son notaire que les membres du Collège devraient se réunir chaque mois pour boire une tasse de café.

Lorsque le notaire remit le sac à ses destinataires, il précisa que son client leur avait fait ce legs parce que « le café apportait à ceux qui en buvaient l’intelligence et le bonheur ».

En vérité, les médecins de Londres pouvaient difficilement rester indifférents à ce cadeau d’outre-tombe. D’abord, ils respectaient la science de William Harvey, qui quelques années auparavant, avait découvert que le sang qui irriguait en circulant dans le corps des hommes et des animaux. Et, si leur illustre confrère avait tenu à leur affirmer, au-delà de sa mort, que le café avait une action stimulante, c’est qu’il y avait là pour eux matière à réflexion.

Et puis, un sac de café était à cette époque une chose rare : cela ne donnait que plus de valeur au geste du Dr Harvey. Le eu de café que l’on pouvait trouver alors venait de Venise. La « République Sérénissme » était encore dans sa splendeur : les vieilles galères turques y apportaient d’Alexandrie les plantes et les épices de l’Orient, et parmi celles-ci, depuis quelques années, de curieuses graines venant d’Arabie. Avec ces graines, les riches Vénitiens avaient appris à faire une boisson noirâtre qui réveillait leurs forces chancelantes au soir des journées de Carnaval.

Mais, déjà pour Venise les nuages montaient à l’horizon, menaçant sa prospérité et l’hégémonie de ces marchés méditerranéens qui dominaient le commerce mondial depuis des temps immémoriaux. Les nouvelles routes ouvertes par les rapides caravelles de Christophe Colomb aux Conquistadores espagnols et portugais attiraient les marchands les plus entreprenants sur les rives de l’énorme océan qui menait aux confins de l’Occident. Et pendant que Venise s’efonçait dans le sommeil, les corsaires turcs rançonnaient les acheteurs de café, attachant peu à peu au café une double image de boisson de luxe et de tisane médicale au pouvoir mystérieux.

Deux cents ans plus tard, le café était encore trop cher pour ne pas être réservé à une élite. Aussi, anticipant les profits qu’ils pourraient en tirer, les Brésiliens se mirent-ils à planter du café par centaines de milliers puis par millions de pieds, particulièrement dans l’Etat de Sao Paulo ; les premiers arrivages importants en Europe et aux Etats-Unis fient un peu baisser les prix, mais les Brésiliens continuèrent à en planter.

Ainsi, le café commença à être traité sur une large échelle, attirant les commerçants et leurs capitaux : comme il s’avérait être un bon produit et qu’il plaisait, il perdit peu à peu son caractère de produit de classe et ses parfums d’officine. En quelques années, les ouvriers de a jeune industrie américaine allaient faire du café leur boisson favorite, alors qu’en Europe il devenait le symbole du petit déjeuner continental et l’accessoire indispensable d’un repas de famille (cf. M.T.M., 2 janvier 1981).

En 1860, la consommation de café dans le monde était inférieure à 5 millions de sacs de 60 kg. En 1885, elle atteignait 10 millions e en 1910 lle passait le cap des 20 millions. Bien que les guerres et les crises aient un peu ralenti sa progression, la vogue du café continua à s’étendre. En 1973-1974, la consommation mondiale atteignait 75 millions de sacs, dont 58 dans les pays importateurs et 17 chez les producteurs.

C’est alors que les vents ont tourné e que le baromètre du café est passé du « bau fixe » à « variable »…

LE BRÉSIL CONTRÉ CAR TROP DOMINANT

C’est à partir de 1492 que le café, parti de Turquie, allait faire la conquête de l’Europe en commençant par l’Italie.
Le café devient « consommation de masse » en France lorsqu’il fut inclus dans la ration normale de la troupe du contingent, en 1860.

Le Brésil joue le rôle de premier exportateur mondial depuis 1831.
Sa production était de 127 tonnes en 1796 ; elle augmente de 869 % en dix ans et de 1 445 % de 180 à 1831.
En 1900, la production mondiale s’élevait à 7, millions de tonnes dont 7,1 millions sont exportés.
Le Brésil approvisionne alors 70 % du marché mondial.
La baisse des prix à la fin du XIXe siècle, intervenue après la crise de 1893, aggravée par une surproduction en 1898, et la saturation de la demande, à incité le Brésil à tenter avec succès une stratégie de marché de type oligopole (cf. Bartolucci, 1979).

Les alliances passées entre le Brésil et certains négociants et financiers lui permirent de consolider pour un certain temps la position de son café sur le marché, stoppant ainsi la chute des cours enregistrée entre 1906 et 1927.
Ceci a entrainé une riposte immédiate de la part des pays consommateurs qui se tournent à partir des années 1930 vers des fournisseur de remplacement à un Brésil devenu trop autonome : Côte d’Ivoire, Madagascar, Cameroun, Indonésie, Colombie ou Amérique centrale.

De 1929 à 1937, la consommation mondiale du café a augmenté de 22,9 à 24,5 millions de sacs, soit un taux de progression annuel de 1 %, inférieur à celui de 2,5 % atteint entre 1920 et 1928, pendant les années folles de l’après-guerre.

Une étude plus détaillée des raisons de ce ralentissement des progrès de la consommation tend à montrer qu’il a été davantage le résultat de la situation politique que de la crise économique.

En effet, la consommation mondiale pendant cette période a été affectée principalement par des réductions d’importations imposées par les circonstances dans les pays d’Europe centrale, en Italie et en Espagne.
Ailleurs, et surtout aux Etats-Unis, en France, en Belgique, en Hollande et dans le spas scandinaves, la progression de la consommation de café, de 1929 à 1937, fut pratiquement la même que de 1920 à 1928.

L’accroissement de la consommation de café au cours des années ayant suivi est certes dû à l’augmentation du niveau de vie de la population tout entière, et principalement de la classe ouvrière ; mais elle est due aussi à la part plus réduite que représente désormais le caf dans le budget des consommateurs.
Ainsi, en supposant qu’un crise économique force les « masses populaires » à réduire leurs dépenses, il est peu probable qu’elles fassent porter sur le café leur efforts d’économies…

Extraits du mémoire de M. Mounir GAOUAR
sous la direction de M. J.-M. Boussard
Paris, Novembre 1983

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